[caption id="attachment_61676" align="alignleft" width="300" caption="Mohomodou Houssouba, Bâle (Suisse)"]

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L'histoire retiendra de ce groupe de mutins le talent singulier de toujours agir pour fragiliser l'Etat et le pays et démoraliser davantage le peuple malien. C'est comme si tout est fait pour ne pas avoir deux minutes d'espoir de suite. C'est aussi pour cette raison que nous autres disons depuis le 22 mars que rien – absolument rien – de bon ne sortira des actions de ces sous-officiers qui ont pris le pays en otage et qui n'ont pas manqué d'applaudisseurs ; parmi eux, certains dont le « laudatio » peut mécaniquement glisser d'un chef à l'autre, d'un tombé à un tombeur, d'un jour à l'autre.
Que ceux qui croient que la junte est venue pour faire du bien, les souffleurs, sapeurs et « pompeurs », qu'ils lui disent de la façon la plus candide possible que le retour à l'ordre constitutionnel ne veut pas dire la mise en place de deux ordres constitutionnels parallèles et en opération d’entrave générale ; c'est-à-dire, d'un ordre intégralement anticonstitutionnel. Ce qu'on appelle une dictature militaire.
Si d’aucuns ont pu se faire des illusions, il ne reste plus l'ombre d’un doute. Nous sommes dans la pire des situations. Un non-pouvoir militaire casé entre Kati et Bozola qui a l'exclusive capacité de saper chaque effort pour regrouper les gens et engager un effort pour sortir du trou. Il détient le bilan militaire le plus catastrophique de notre histoire, quelles que soient les justifications laborieuses qu’on nous sert à tour de bras. Oh ye, c’était pourri même quoi! Oui, si c’est pourri et qu’on ne va pas nettoyer, prière de garder sa main hors de la pourriture… Les gens du Nord ne disent-ils pas, « Kanbe kaŋ funbu, koyoo g’a ga yee » (La main pourrie revient à son propriétaire). Bien sûr, la main pourrie n’est pas la leur. On aurait pensé qu'après avoir forcé un nouveau chemin tortueux pour la classe politique, ils seraient en route pour le Nord. Dare-dare. Non et non et on n’a apparemment rien vu encore en duplicité et cynisme.
Mais le Nord n'a jamais été plus qu'un alibi. Ni pour eux, ni pour la frange politique qui a vite accroché son sac à la charrette militaire. Une charrette bien poussive dans tout sauf la sape, la grande et infinie sape. Les résultats sont là : au rythme actuel, il faudra plus qu’une année pour que l’armée malienne aille un peu plus au nord que Yirimadio. Une année lumière pour arriver à Tessalit.
Seulement que nous ne sommes pas prêts à accepter cet état de fait, à laisser la grande partie du pays rester un prétexte et une grande parole sans lendemain. Il est évident que la junte fait partie de la rébellion, d’une grande conspiration criminelle contre ce pays, contre les populations du Nord. Je ne dis pas qu’elle est la seule, mais elle en devient une pièce maîtresse. Elle est aujourd’hui le premier souci de nous autres qui avons un quartette de groupes armés sur la tête et le dos de nos familles dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou. Si l’on doit désespérer, c’est avant tout en remarquant qu’une petite clique venue de nulle part va continuer à prendre en otage ce pays, qui même tombé si bas, garde d’énormes réserves de compétences, de volontés aussi bonnes que désintéressées. Mais le réflexe suicidaire semble aujourd’hui prendre le dessus sur l’acte raisonné, la retenue et le bon sens.
À ce rythme, le désespoir est vraiment permis…
Et ce n’est pas simplement pour s’emporter ou rouspéter ; mais bien sûr, l'attitude la plus inquiétante serait de ne pas s'inquiéter du règne de l'arbitraire qui s'étale sur le pays entier. Si seulement on peut avoir un petit sanctuaire de quiétude à Bamako. Oui, c’est la célèbre mare aux crocodiles, mais tout de même !
Avec la mise en place des institutions de l'intérim, un minimum de sérénité est nécessaire pour que tout le pays se remobilise. Il faut faire face à une tâche herculéenne. Il faudrait des personnalités exceptionnelles pour remettre en confiance nos partenaires, ceux qui commencent à désespérer de nous mais s’efforcent encore d’y croire. Tant qu’ils n’ont pas la certitude que le processus a dépassé le cap du putsch, ils ne lâcheront pas du lest. Nos dirigeants n’auront pas la crédibilité nécessaire pour s’acheter quelques jours ou semaines de grâce. Ils n’auront pas le bénéfice du minimum de fraîcheur que la nouvelle équipe, quelle que soit sa compétence collective, pourrait apporter. Il ne s’agit pas seulement de vitrine pour l’extérieur. Il ne s’agit même pas de cela en premier lieu. Je parle chaque jour avec les gens à Gao et alentours. Contrairement à ce qu’on lit, d’ailleurs de la part de gens qui ne semblent pas connaître une seule personne vivant dans le Nord, le coup d’état a été jugé comme une catastrophe par des gens qui n’ont aucun diplôme en poche. C’est le côté effarant de nos espaces de discussion, de voir comment les gens supposés être les plus éclairés, non seulement s’accommoder de mirages et d’illusions (
wishful thinking) mais aussi d’attribuer leurs illusions aux autres, surtout aux analphabètes et sans diplômes. Mes analphabètes et sans diplômes ont vécu l’arrivée de la junte comme un désastre et ils ne se sont pas trompés. Ce sont les vrais prophètes, pas ceux qui disent maintenant que le putsch était inévitable et se vantent d’une si absurde clairvoyance. Faut-il nous dire maintenant que le putsch contre l’intérim qui n’a pas démarré est prévisible ?
Impassible junte lorsque Kidal est pris, Gao rasé et Tombouctou pillé. Que les meilleures perles de la famille – de la grande famille ouest-africaine – disparaissent dans les sables tombouctiens ; rien n’y fait, aucun état d’âme. Comme si nous sommes tombés entre les mains d’un thérapeute autiste, qui n’entend pas, ne sent pas, ne voit pas même s’il nous fixe, nous crucifie du regard… Il ne sent rien et continue avec son monologue, tout en nous serrant le poignet comme par des tenailles, sans jamais se rendre compte de la douleur qui nous a fait venir à lui – oui disons le, celle dont il se fait l’excuse pour son intrusion dans notre vie.
Les gens de Gao disent, « Nda boro na hamni kankam n’ ra maa nga heenoo »*. A force de pincer la mouche, on entendra son cri. Il faudrait faire que cette bande entende le cri des gens qui vivent un peu plus au nord que Bozola. C’est d’ailleurs là que s’arrêtent leurs faits d’armes. Ils ont infantilisé un vieillard de pays. Ils ont enrichi le kotéba national d’un grain supplémentaire, même fait un clin d’œil à l’autre acteur putschiste du Mandé, du côté guinéen. Maintenant, ça suffit – qu’eux et leurs porteurs d’eau l’entendent.
Une contribution de Mr Mohomodou Houssouba,
Bâle (Suisse)
* Autre version : « Boro si hamni kankam hala ma maa nga heenoo ». Réponse: « A mma bine tay ». (Parce que ça fait pitié.)