Décryptage : Un seul héros, le peuple
Ce matin, je ne parlerai pas de la mort du 266eme souverain pontife, François. Que son âme repose en paix.

Je n’évoquerai pas les tensions entre le Pakistan et l’Inde, deux puissances nucléaires asiatiques. Je ne reviens pas sur la mort de la cinquantaine de soldats béninois lors d’une attaque narcoterroriste. Des sujets d’importance capitale pourtant. Mais, je vous embarque à bord du décryptage pour traiter d’un sujet, celui du Mali partagé en deux camps : les frileux et les justes.
Désir d’un Mali éternel
1992, voilà trente ans que le Mali est entré dans une nouvelle ère, celle de la démocratie. Alors président de la transition, Amadou Toumani Touré promulgue la nouvelle constitution le 14 février 1992. Désormais, sur les rives du fleuve Niger résonne la devise du Mali : Un peuple, Un but, Une foi. Dans sa course vers l’atlantique, le Djoliba parfume les pays riverains des graines de la démocratie. Pour commémorer l’âme des disparus, des monuments sont édifiés au Mali. Le 29 mars 1995 à Bamako, est inauguré le monument des martyrs du 26 mars 1991. Les Maliens magnifient la République. Le 27 mars 1996 à Tombouctou, est érigé le monument de la flamme de la paix. Le Mali paisible triomphe. Le 22 septembre 1995 à Kayes, le monument de l’indépendance est hissé. On vénère le passé glorieux. Tout ceci symbolise le désir d’un Mali éternel. N’en déplaise aux boutefeux. Car ce Mali éternel ne se construit que dans un système démocratique à l’inverse de ce qui est ânonné çà et là. Donc inutile de faire un pacte avec le diable au risque de fragiliser le pays.
Aujourd’hui, le Mali est fragile. Il ferraille contre l’Algérie, sa voisine la plus rusée. Laquelle Algérie adopte une loi sur la ″mobilisation générale″ le 20 avril 2025. Cinq jours après, c’est-à-dire le 25 avril 2025, le Mali décrète l’opération Dougoukoloko. Finalité : affirmer l’autorité et la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire. Réponse de la bergère au berger ? Par ailleurs, le Mali lutte contre le narcoterrorisme, son maillon faible. Il lutte contre l’instabilité, son serpent de mer. Conséquence, les Maliens sont divisés en deux camps, deux Mali : les frileux et les justes. Le camp des frileux se caractérise par la peur de tout perdre : avantages, pouvoir, privilèges, etc. Il manque d’audace. Il a du mal avec la liberté d’opinion et d’expression. Dans ce camp, la critique est mal reçue. Finie la soumission aux puissances occidentales avec leurs prescriptions futiles. Le Mali, c’est nous. Au milieu du big bang géopolitique, ce camp agit à la Machiavel. Pour lui, la démocratie, c’est l’antre du postcolonialisme. Il la voue aux gémonies. C’est une déchéance. Pour s’en convaincre, il porte le débat public sur les réseaux sociaux, un des nerfs du combat politique.
En face, le camp des justes. Il se caractérise par la volonté d’émergence d’un autre Mali. Il se bat pour le respect du droit. Il ne transige pas avec la vérité qui libère. Pour lui, le système démocratique est inévitable. Échaudé par le parti unique de Moussa Traoré, il pense que refuser la démocratie, c’est être à demi-conscient. Il promeut le dialogue comme l’arme la plus efficace pour construire la paix. Il priorise une diplomatie culturelle arc-boutée sur la non-violence. Il se pose en responsable. Il revendique une vision à long terme du Mali. Comme les frileux, les justes investissent les réseaux sociaux pour répandre leurs idées. C’est le contexte actuel dans lequel chaque camp se dit représentatif du Mali. Les esprits s’échauffent. Entre déception et colère, tout peut craquer…
Régime démocratique défaillant, régime d’exception injuste
Depuis trois semaines, la situation empire entre les deux camps. Les 16 et 17 avril 2025, le gouvernement du Premier ministre Abdoulaye Maïga concerte les Maliens sur la charte des partis politiques. Rappelons que son prédécesseur, Choguel K Maïga, avait aussi eu ses Assises nationales de la refondation en décembre 2021 pour consulter les Maliens. Ça c’est du passé. Aujourd’hui, l’actuel Premier ministre engage une épreuve de force avec les partis politiques, qui s’opposent aux conclusions des concertations : dissolution des partis politiques, nomination d’Assimi Goïta comme président de la République, etc. Le 30 avril 2025, le Conseil des ministres abroge entre autres la loi n°05-047 du 18 août 2005 sur la charte des partis politiques. La dissolution des partis politiques n’est pas pour l’instant. Tant mieux ! En attendant, un nouveau champ de bataille s’ouvre entre les deux Mali. Dans l’intimité des écrans, les discours fleurissent. Partout, on tente d’esquisser une solution politique dans un climat sociopolitique tendu. Les appels au retour à l’ordre constitutionnel franchissent difficilement les armures du pouvoir. Décryptage : l’histoire récente du Mali nous enseigne qu’il existe aussi bien des régimes démocratiques défaillants que des régimes d’exception injustes. Un régime pouvait être exemplaire l’année d’avant et faillir l’année d’après. Tout est une question de compromis. Ainsi le 22 septembre 1960, Modibo Keïta est acclamé par les Maliens pour avoir conduit le pays à l’indépendance. Mais, quelques années plus tard, il est rejeté par une partie des Maliens à cause des dérives de son pouvoir.
Le 19 novembre 1968, Modibo Keïta est écarté du pouvoir par le lieutenant Moussa Traoré. Mais en mars 1991, Traoré est chassé du pouvoir par les Maliens à cause de sa dérive dictatoriale : terreur, arrestation, etc. Ses héritiers ont encore du mal à réhabiliter son image. On pourrait multiplier les exemples. Ceci dit, le changement au Mali ne peut être rapporté à un individu hors du commun. Certes, la multiplicité des cécités et des surdités est réelle. Mais tout ceci rappelle que l’anthropologue, l’archéologue, le biologiste, le chimiste, le démographe, l’économiste, l’historien, le géographe, le juriste, le linguiste, le mathématicien, le philosophe, le psychologue, le physicien et le sociologue ont le devoir d’agir pour la vérité. C’est la raison d’être du scientifique. Agir pour une société moderne et rationnelle. Ni flatueux, ni vendu, ni naïf, ni conspirateur, mais œuvrer pour une société où l’esprit de discernement aide à conjurer les crises imbéciles.
Terminons ce texte par là où il est commencé, ces deux Mali qui ont besoin l’un de l’autre et qui doivent se raccommoder. Mais, il y a un autre camp peu évoqué. C’est le peuple, consacré par la formule fort répandue du Mathieu Rigouste : Un seul héros, le peuple. On la rencontre dans tous les mouvements de résistance. Elle trouve son accomplissement dans tout conflit aussi bien politique que social, comme celui entre justes et frileux. Comprendre la stratégie des deux camps, c’est saisir que l’essentiel de leur force repose sur le peuple. Le 18 août 2020, le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta est écarté grâce à la désobéissance civile du peuple, inscrite dans la constitution. De compte à rebours à compte à rebours, c’est donc avec le peuple, sans populisme, que l’histoire du Mali s’écrit.
Une question pour le weekend : de quel Mali rêve-t-on ?
Un Mali pacifique, libre et inclusif ;
Un Mali digne, juste et prospère ;
Un Mali démocratique ;
Un Mali respectueux du serment d’une Afrique unie ;
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Mohamed Amara
Sociologue
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