Dissolution des partis politiques: le spectre d’un recul démocratique
La réduction du nombre de partis politiques et la suppression de leur financement figurent parmi les recommandations adoptées lors des Assises nationales de la refondation (ANR) de décembre 2021 et du Dialogue inter-malien pour la paix et la réconciliation. Face à la perspective de mise en œuvre de cette mesure controversée, nous avons recueilli les réactions de plusieurs acteurs politiques et de la société civile.
Parmi eux, l’ancien ministre Yaya SANGARE, secrétaire général du Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ), estime que « Toute initiative visant à réduire ou dissoudre les partis politiques sans fondement légitime et démocratique constitue une grave atteinte aux droits de l’homme ».
Lors du Conseil des ministres du 4 avril 2025, le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Réformes politiques et du Soutien au Processus électoral, Mamani NASSIRE, a présenté les résultats des consultations menées avec les partis politiques et les organisations de la société civile. Ces consultations s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations des Assises nationales de la Refondation.
De l’avis de certains observateurs, la tentative de réduire ou de dissoudre les partis politiques suscite une inquiétude majeure quant au respect des droits humains fondamentaux. Cette démarche, qu’elle soit justifiée par des considérations politiques ou sécuritaires, entre directement en conflit avec les mécanismes juridiques nationaux, régionaux et internationaux qui garantissent la liberté d’association et la participation à la vie publique et politique.
La relecture de la Charte des partis pourrait s’avérer providentiel
Pour l’ancien ministre Yaya SANGARE, après plus de trois décennies d’exercice démocratique et multipartite, notre pays a été confronté à de multiples épreuves qui ont fini par fragiliser et discréditer les acteurs et les partis politiques aux yeux des citoyens.
Cependant, la volonté de réduire leur nombre aujourd’hui n’est pas forcément la solution idoine au problème structurel que connaît l’offre politique dans notre pays. Selon lui, le processus de relecture de la Charte des partis politiques en cours, s’il n’est pas biaisé, pourrait s’avérer providentiel dans une optique d’assainissement, de moralisation et de contrôle politiques, et cela sans porter préjudice aux droits et libertés garantis par la Constitution de juillet 2023.
« Au regard de toutes les campagnes de dénigrement orchestrées et alimentées par des officines de propagande, il incombe donc aux hommes politiques d’unir leurs forces au sein de leurs formations politiques, dont ils feraient des outils aiguisés dans l’art des négociations habiles et de dynamiques alternatives », a préconisé Yaya SANGARE.
« Vouloir affaiblir les acteurs et les institutions politiques, c’est ignorer l’évidence que ceux-ci sont incontournables et irremplaçables dans l’animation politique, si tant est que la démocratie signifie un repère pour nous », a-t-il prévenu.
Il a rappelé que notre démocratie est marquée du sang des compatriotes qui ont sacrifié leur vie en mars 1991 pour l’ouverture politique et l’idéal démocratique. Ce n’est pas anodin si la Constitution de juillet 2023 prête autant d’importance, en son article 185, au multipartisme intégral qu’à la forme républicaine et laïque de l’État, voire à la limitation du mandat présidentiel : « La forme républicaine de l’État, la laïcité, le nombre de mandats du Président de la République et le multipartisme ne peuvent faire l’objet de révision ».
Oui à un encadrement, non à une réduction arbitraire
Il a indiqué par ailleurs que les réformes souhaitables pour les partis politiques ne relèvent pas d’un ajustement d’ordre quantitatif, mais de l’amélioration des lignes programmatiques et de l’animation politique. Or, jusqu’ici, soutient-il, les propositions qui reviennent dans le débat public comme alternatives à l’inflation des partis politiques consistent à ramener leur nombre à trois, quatre, au maximum cinq.
Pour lui, la question aurait pu être posée autrement : « Comment les partis politiques pourraient, à la fois, correspondre aux aspirations éclectiques des Maliens et élargir les horizons de leur perception globale et pertinente de la vie publique ? »
Au fait, quelle est ou pourrait être la portée d’une opération de réduction à outrance des choix ? s’est-il interrogé. S’il est vrai qu’il existe une crise du nombre des partis politiques, Yaya SANGARE pense que la régulation à marche forcée de ces derniers risque d’ouvrir la porte à une fragilisation du processus démocratique.
« Je suis pour une régulation encadrée, sinon une réduction arbitraire comme cela se dessine à l’horizon entraînera la fragilisation de notre processus démocratique, un recul des acquis démocratiques du 26 mars 1991. Il pourrait même ouvrir des tensions politiques aux conséquences imprévisibles », a-t-il prévenu, appelant les autorités à une analyse holistique de la situation.
« Toute initiative visant à réduire ou dissoudre les partis politiques sans fondement légitime et démocratique constitue une grave atteinte aux droits de l’homme », a-t-il insisté.
Le risque de porter un coup à la démocratie
L’ancien diplomate Abdoulaye Amadou SY, également contacté par nos soins, estime qu’il ne serait pas judicieux d’arriver à la dissolution pure et simple de tous les partis politiques alors que la Constitution du 22 juillet 2023 prône la création des partis politiques.
Toutefois, il y a lieu de veiller au mode de création et d’organisation des partis politiques, a précisé le responsable politique de la Coalition des forces patriotiques (CoFoP), tout en rappelant le rôle crucial des partis politiques qui participent à l’éveil des populations et à leur active participation à l’action publique.
« La suspension ou la suppression des partis politiques serait un grand recul dans le mode de vie de notre Nation », a affirmé M. SY.
Quant au président de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM), Housseini Amion GUINDO dit Poulo, il estime que ce débat de la dissolution des partis politiques ne devrait pas se poser puisque le multipartisme est consacré dans la Constitution adoptée sous la transition. « Il faut seulement que les autorités respectent les textes de la République », a exhorté Poulo.
Auparavant, des experts avaient fait la même analyse en marge des travaux du Dialogue inter-malien. D’ailleurs, le comité de pilotage du dialogue inter-malien avait reconnu que la Constitution de juillet 2023 consacre le multipartisme.
Pour Jérémie COULIBALY, membre du comité, cette recommandation vise à durcir les critères de création des partis politiques et à changer leur mode de fonctionnement.
« Le fait d’avoir près de 300 partis politiques, on ne peut pas avoir 300 projets de société pour le Mali, donc il s’agit de durcir les conditions de création des nouveaux partis politiques », soutient-il. Et l’universitaire d’ajouter : « Les partis politiques demeurent importants, mais ce qui est difficile à comprendre c’est surtout d’avoir une pléthore de partis politiques qui vivent généralement du financement public ».
De son côté, le politologue Ballan DIAKITE a affirmé que la réduction du nombre des partis politiques n’est pas sans conséquences sur la stabilité politique du Mali.
« J’estime que la solution n’est pas la réduction du nombre de partis politiques parce qu’en voulant réduire les partis politiques, on crée d’autres polémiques », a indiqué le politologue.
« Il faut renvoyer les partis politiques à leur mission fondamentale, c’est-à-dire la formation politique des citoyens sur leurs droits politiques, quitte à maintenir évidemment le financement des partis politiques, mais conditionné à la réalisation d’un certain nombre d’activités citoyennes », avait-il préconisé.
Pour Bréma Ely DICKO, membre du comité de pilotage, ces recommandations peuvent être mises en œuvre. Selon lui, cela passe par une relecture de la charte des partis politiques avec les acteurs.
PAR Abdoulaye Ouattara et Sikou Bah
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