Entretien avec l'analyste Mathieu Pellerin sur la guerre contre les jihadistes en Afrique de l'Ouest. Un regard en deux volets sur le phénomène jihadiste et son expansion dans la région. Première partie.
Mathieu Pellerin est analyste Sahel chez International Crisis Group et chercheur associé au centre Afrique sub-saharienne de l'Ifri, l’Institut français des relations internationales.
RFI : Mathieu Pellerin, quand on évoque les groupes armés contre lesquels luttent les forces nationales et internationales au Sahara et au Sahel, de qui parle-t-on ?
Mathieu Pellerin : On parle de deux entités jihadistes principales. D’un côté, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM ou JNIM), qui regroupe différents groupes au Sahel se revendiquant d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) : il s’agit principalement d’Ansar Dine et de sa
katiba Macina, de la
katiba al-Furqan et d’al-Mourabitoune. De l’autre, l’État islamique dans la Province d’Afrique de l’Ouest (Iswap) qui opère à travers deux branches, l’une dans le lac Tchad et au nord-est du Nigeria, la seconde dont le foyer se situe dans la région de Ménaka, au Mali, et qui s’étend dans une zone du Liptako-Gourma, et même désormais au-delà (EIGS). Deux autres groupes opèrent au Nigeria, l’aile de Boko Haram dirigée par Abubakar Shekau et appelée Groupe sunnite pour la prédication et le jihad et Ansaru, lui-même dissident historique de Boko Haram.
Comment caractériser les jihadistes ?
Les jihadistes au Sahel sont historiquement nés des décombres de la guerre civile algérienne, une partie des jihadistes qui ont refusé la politique d’amnistie (« concorde civile ») du président algérien ayant reflué au nord du Niger et surtout au nord du Mali où ils se sont progressivement sanctuarisés. Le jihadisme est donc d’inspiration étrangère et, encore aujourd’hui, plusieurs de ces groupes sont dirigés par des étrangers (Sahraouis, Algériens, Mauritaniens). Dans le même temps, cette sanctuarisation s’est faite en pénétrant les sociétés sahéliennes et en recrutant majoritairement en leur sein. Les groupes jihadistes sont donc aujourd’hui essentiellement composés de Nigériens au Niger, de Maliens au Mali, de Nigérians au Nigeria et de Burkinabè au Burkina. Les États sahéliens pointent toujours la responsabilité sur un acteur étranger, mais cette réalité basique devrait suffire à les convaincre de regarder avant tout leurs propres responsabilités. La question qui se pose est de savoir comment les agendas globaux et locaux cohabitent, se rejoignent ou au contraire deviennent contradictoires.
Quels sont les nouveaux visages du jihadisme au Sahel ?
La progression du jihadisme dans la bande centrale du Sahel, où les densités de populations sont plus importantes, a fait évoluer la composition de ces groupes. Les populations arabes ou touarègues y sont moins nombreuses, au contraire notamment de la communauté peule, fortement représentée au sein des groupes jihadistes, qu’il s’agisse de JNIM ou de l’EIGS. Si l’emphase est souvent mise sur la communauté peule, il faut rappeler que les groupes jihadistes recrutent au sein de toutes les communautés sans exception. L'EIGS compte des cadres Daoussahak, des Djerma, des Gourmantché, etc. La
katiba Macina d'Ansar Dine compte des cadres dogons et bambaras. C'est ça les nouveaux visages du jihadisme au Sahel : là où les observateurs se focalisent sur un soi-disant « jihad peul », les groupes s'ingénient à recruter bien au-delà de cette communauté... Toutefois, avec la chute de l’État islamique au Moyen-Orient, aux difficultés des groupes jihadistes dans tout le Maghreb, et en particulier en Libye, les jihadistes issus de ces zones se replient sur le Sahel. C’est un jihad à la fois de plus en plus local mais qui pourrait être exposé à une tentative d’emprise de la part des chefs jihadistes opérant au Moyen-Orient, au Maghreb, pour qui le Sahel (et l’Afrique plus largement) est le dernier territoire d’expansion.