Notre pays est plus que jamais à la croisée des chemins. Et pas seulement à cause du coup d'Etat perpétré dans la nuit du 21 au 22 mars 2012.
[caption id="attachment_63487" align="alignleft" width="250" caption="Makan Koné"]

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Bien avant la rupture brutale de l'ordre constitutionnel, le bateau Mali avait commencé à tanguer et menaçait même de chavirer. On se dirigeait chaque jour vers des lendemains plus qu'incertains. La rébellion sévissait au nord, on s'entêtait à aller à des élections quasiment impossibles à tenir. Il avait été décidé, en violation flagrante de la Constitution, d'organiser aussi un référendum.
Sans oublier le malaise social rampant, la mal gouvernance et tout ce qu'on peut reprocher à l'ancien système. C'est ainsi que survînt le putsch de la dernière décade de mars. Notre intention ici n'est de faire le procès de qui que ce soit, mais de réfléchir sur la situation que vit le Mali, une situation à laquelle se sont invités royalement les chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).
En véritables gendarmes, ils
"décident" et ne font que
"décider" dès lors. Méprisant totalement le Mali et son peuple, ils prennent des décisions qui nous engagent ; ils décident de la vie de la nation et du peuple malien, à l'extérieur, à l'insu des Maliens et, à la limite, contre la volonté du peuple réel.
Tenez ! Pour rétablir, prétendaient-ils, à l'époque l'ordre constitutionnel, ils ont
"décidé" de venir à
"Bamako-Sénou, convoquer les militaires et installer à Koulouba le président ATT", avant de rebrousser chemin en plein vol prétextant un climat d'insécurité à l'aéroport. Quelques jeunes pro junte - il est vrai - avaient manifesté brièvement aux abords de la piste.
Ensuite - et c'est la phase la plus théâtrale, folklorique et ridicule -, ils ont
"décidé" de faire respecter la Constitution en installant avec faste le président par intérim Dioncounda Traoré. Celui-ci a même prêté serment. Ce qui, juridiquement, n'était pas normal. C'était beau tout ça, à part que cet acte signifiait de
facto la mort de la junte, le retour des militaires dans les casernes et qu'il ramenait le Mali à la matinée du 21 mars, quand les militaires étaient tranquilles au camp Soundiata Kéita à Kati avant l'arrivée de l'ex-ministre de la Défense et des Anciens combattants, le général Sadio Gassama, et le déclenchement des hostilités.
C'est exactement le contraire qui s'est passé. Et la Cédéao commençait ainsi à installer le désordre dans notre pays en créant de fait un bicéphalisme. Le Conseil national de redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) a continué d'exister en violation flagrante du retour à l'ordre constitutionnel. Un président par intérim est installé, mais sans pouvoir réel. La preuve, ce sont les déclarations télévisées et même les arrestations faites par la junte au su et au vu du président par intérim et de tous les observateurs.
On ne peut pas vouloir d'une chose et de son contraire. Qu'on nous montre la Constitution malienne qui parle du CNRDRE et du président par intérim exerçant ensemble et en même temps ?
Ensuite, ce fut Ouagadougou. Un voyage qui a quand même eu le mérite de mesurer et de connaître exactement le degré de division de Maliens et leur incapacité à s'asseoir pour discuter de l'avenir du pays.
Le seul point sur lequel un semblant d'accord a pu être trouvé, c'est le mode de désignation du Premier ministre de transition. Il fallait le faire en respectant l'accord-cadre (il est désigné par le CNRDRE et le médiateur, le président par intérim signant le décret de nomination), tout le monde, ou quasiment tous les participants s'y étaient mis d'accord.
La durée de la transition, le président de transition, le prolongement du mandat des députés etc. tous les autres sujets qui fâchent ont été remis à plus tard. On ne savait pas encore ce que les chefs d'Etats de la Cédéao concoctaient pour Abidjan.
Après donc Ouagadougou, il fallait désigner rapidement un Premier ministre. Le choix a été porté sur Cheick Modibo Diarra. Il faut avouer qu'à l'époque, les Maliens ont accepté de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Seulement, quelque temps après, ce Premier ministre désigné sur la base de l'accord-cadre est le premier à violer allègrement ce document qui fait désormais (presque) office de Constitution en République du Mali.
En effet, la mise en place du gouvernement est faite en catimini. La classe politique n'est même pas consultée alors qu'on parle d'ordre constitutionnel, le gouvernement n'est pas consensuel comme le conseille l'accord-cadre. Des hommes et des femmes - contre lesquels nous n'avons rien fondamentalement et dont nous ne doutons pas de la capacité à relever le défi - sont désignés. D'où tirent-ils leur légitimité ? Une légitimité pourtant indispensable en vue de mener à bien cette mission. Surtout dans le contexte actuel.
Le calvaire des Maliens n'était pas pour autant fini. On commençait juste à se faire à l'idée que la mise en place de ce gouvernement imposé aux Maliens était consommée, quand tombèrent comme un couperet les décisions unilatérales, méprisantes et insultantes des chefs d'Etat de la Cédéao sur la transition dans notre pays. Réunis à Abidjan, ils ont encore une fois
"décidé" que, entre autres :
- La transition malienne durera une année,
- Le président par intérim Dioncounda la conduira,
- Le Premier ministre et son gouvernement resteront sur place tout le long de cette transition,
- Un contingent sera envoyé au sud du Mali.
Ainsi, ils ont créé la confusion sur un autre point qui dit ceci :
"Le sommet décide également d’étendre le mandat des organes de transition, notamment le président par intérim, le Premier ministre et le gouvernement sur cette période de 12 mois pour assurer, dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution, la continuité de la gouvernance du pays".
Sur ce point précis, la Cédéao veut dire que les soi-disant pleins pouvoirs du Premier ministre prendront fin avec la période d'intérim alors que l'accord-cadre dit le contraire. C'est cela que veut dire
"dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution". De quelle Constitution parle-t-on ? Si c'est celle du 25 février 1992, on ne peut plus, sérieusement, s'y référer à partir de la fin de l'intérim, car aucun article ne parle de transition dans ce document auquel on veut nous renvoyer après nous avoir imposé un accord-cadre foulé au pied tous les jours par ses propres signataires.
Il ne peut être non plus question de Constitution à partir des 40 jours, car la Loi fondamentale ne parle pas de cette période exceptionnelle et le président par intérim n'est pas constitutionnel. On continue donc de semer le trouble dans l'esprit des Maliens pour les diviser fondamentalement afin d'arriver à ses fins, mais quelles fins ?
Sinon, comment on peut mépriser autant un peuple souverain, décider sans l'avoir consulter auparavant de son sort, lui imposer un document et finalement renier ce même document et faire référence à une Constitution dont on sait pertinemment qu'elle ne prend en compte aucune transition qui vaille.
Ceux qui ont élaboré la Constitution ne pouvaient pas imaginer un tel scénario dans notre pays, à savoir un coup d'Etat. D'ailleurs, la même Loi fondamentale est allée jusqu'à faire de cet acte un crime imprescriptible et l’on veut se référer à ce document - encore une fois - quand on demande d'amnistier les auteurs du coup d'Etat et leurs associés.
A-t-on vraiment l'intention de sortir le Mali de ce guêpier. On a en tout cas l'impression qu'on s'enfonce un peu plus à chaque étape…
Makan Koné,
Directeur de Publication de la Nouvelle Libération