Depuis son indépendance, notre pays n'a pas connu une telle honte: l'occupation des deux tiers de son territoire par des forces rébelles. A première vue, on peut croire que nos soldats sont plus prompts à fuir qu'à jouer de la gâchette comme semble le prouver leur désertion générale lors de la prise de villes aussi importantes que Gao et Tombouctou. Mas la vérité est plus nuancée.
De fait, l'armée malienne n'existe plus que sur le papier depuis deux décennies.
"Elle manque de motivation, nous souligne un soldat.
Un soldat de deuxième classe gagne une solde mensuelle de 40.000 FCFA. Les indemnités totales d'un général d'armée n'atteignent pas 100.000 FCFA. Comment voulez-vous qu'avec ces salaires de misère on accepte de se faire tuer ?". Notre interlocuteur, les larmes aux yeux, cite le cas d'un de ses camarades de promotion envoyé au nord: non seulement l'Etat ne lui allouait presque rien à titre de prime de risque, mais en plus, sa femme, restée à Kati avec une flopée d'enfants, manquait de tout et était obligée de se prostituer pour parvenir à joindre les deux bouts.
Le dénuement des soldats se poursuit sur les champs de bataille.Un sous-officier nous révèle:
"L'armée manque d'équipements. Les rares chars et engins blindés que nous détenons sont vieux de la guerre Mali-Burkina en 1984. La hiérarchie ne leur donnait aucun entretien, si bien que quand on a eu besoin d'eux, ils ne donnaient aucune satisfaction. De plus, le soldat malien est équipé de fusils AK47 d'une portée de 400m alors que les rébelles disposent d'armes d'assaut d'une portée de 2km.Donc, bien avant qu'ils ne soient à portée de nos tirs, les rébelles nous ont déjà tués!".Un autre sous-officier précise:
"Le pouvoir d'ATT faisait du bluff en laissant entendre que le Mali dispose d'une force aérienne. En réalité, aucun des Mig 21 acquis sous le régime de Moussa Traoré ne peut voler. L'armée ne possède que deux hélicoptères destinés, non au combat, mais à des opérations de ratissage urbain. Ces engins ne sont pas opérationnels sur le théâtre du nord".
Au manque de matériels adaptés s'ajoute une défaillance totale de la chaîne de commandement, le tout agrémenté de trahisons."Le chef d'Etat-major général, le général Poudiougou, comme le chef d'Etat-major de l'armée de terre, le général Kalifa Kéita, n'avaient d'autorité sur les troupes sur le terrain.Pas plus que le colonel Fané, bardé du titre de commandant opérationnel. En fait, les troupes étaient dirigées directement de Koulouba à travers des hommes de main en qui ATT avait mis toute sa confiance. L'un d'eux s'appelle El-Hadj Gamou qui, au moment où Gao était attaquée, a rejoint la rébellion avec des centaines de soldats touaregs. Une milice arabe qu'ATT avait créée à Tombouctou et qui était censée protéger la ville de toute intrusion rébelle, a remis les clés de la cité aux islamistes d'Iyad Ag Ghaly. Ces trahisons font douter de la loyauté de la haute hiérarchie. Figurez-vous que c'est sur instruction d'un très haut gradé qu'une troupe envoyée en renfort à Anéfis a été dirigée sur le chemin d'une embuscade qui lui a infligé 47 morts! Chaque fois qu'El-Hadj Gamou était chargée d'acheminer des renforts à Kidal, il prétextait de faux dangers pour faire échouer la mission à la dernière minute ! Nos soldats sont restés 1 mois entier à Tessalit sans renforts ni munitions.A Aguelhok, ils ont été encerclés par les rébelles et abandonnés à leur sort jusqu'à ce qu'ils soient cueillis à froid par les assaillants puis lâchement exécutés.". Nos interlocuteurs rappellent que la tragédie malienne aurait pu être évitée si ATT avait été moins laxiste et plus prudent.
"Nous savons, par des sources américaines, que le président algérien Bouteflika a appelé ATT pour lui dire que des convois militaires venant de Libye prétendaient traverser le territoire algérien en direction du Mali. Bouteflika proposait de faire neutraliser lesdits convois par l'armée algérienne. Mais ATT lui dit de les laisser venir au Mali.On connaît la suite.En outre, Alain Juppé, le chef de la diplomatie française, a publiquement déclaré qu'il a vainement prié ATT d'accepter les armes que la France lui proposait pour lutter contre AQMI et qu'ATT a toujours décliné l'offre au motif qu'il ne voulait pas s'engager dans une guerre". Selon un officier,
"les troupes déployées n'avaient même pas de plans de guerre. Elles naviguaient à vue à l'image du président ATT lui-même.".
On a d'autant moins de peine à croire aux allégations qui accablent ATT qu'il n'a pu protéger son propre palais quoiqu'il ait été averti, plusieurs jours à l'avance, de la révolte rampante des troupes de Kati. Les 50 bérets rouges qu'il a fait venir du camp des parachutistes de Djikoroni pour renforcer la sécurité de Koulouba ont préféré d'abord se disperser pour aller mettre leurs familles à l'abri, laissant entre-temps la résidence présidentielle à la merci des assaillants.
Les rares armes, munitions et sommes que le régime daignait envoyer au front se voyaient largement détourner par des hauts gradés peu scrupuleux. Lesquels avaient souvent partie liée avec les narcotrafiquants, comme en témoigne l'atterrissage clandestin - et non sanctionné ! -d'un avion chargé de cocaïne sur le territoire malien.
Et pour ne rien arranger, ATT gérait la question du nord dans la plus grande solitude. Il ne faisait confiance, pour négocier avec les rebelles, qu'au général Kafougouna Koné, ministre de l'administration territoriale; et ne communiquait presque sur rien. Cette gestion solitaire se trouve à l'origine du silence complet qu'observaient les autorités sur le sort des soldats morts ou disparus, silence qui a eu pour effet de d'exaspérer au plus haut point la troupe de Kati. Dernière erreur d'ATT, il envoya discuter avec la troupe révoltée de Kati, non pas un fin diplomate ou un officier respecté par les soldats, mais un homme - le général Sadio Gassama- fort imbu de son autorité et très désagréable du verbe.
Une enquête réalisée par Tiékorobani