[caption id="attachment_56396" align="alignleft" width="476" caption="A Bamako, ce jeudi. (Photo AFP)"]

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Interview - Au surlendemain du putsch qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, la situation est confuse. Un calme relatif est revenu mais la capitale reste paralysée, témoigne l'écrivain Birama Konaré.
Le Mali vit maintenant à huis clos. Toutes les frontières ont été fermées ce vendredi matin, trente-six heures après le coup d'Etat mené dans la nuit de mercredi à jeudi par des soldats mutinés contre le président malien Amadou Toumani Touré, à quelques semaines de la fin de son mandat.
Bamako est depuis «complètement paralysé», témoigne depuis la capitale Birama Konaré (photo Seydou Camara), jeune écrivain malien. Fils de l’ex-président Alpha Oumar Konaré, il préside l’Association de la jeunesse révolutionnaire africaine, mouvement qui se veut apolitique et cherche à «mobiliser la jeunesse pour qu'elle fasse entendre sa voix et s'implique au quotidien» (1).
Quelle est la situation ce matin dans les rues de Bamako ?
Le calme semble être revenu, après le rappel à l'ordre de la junte contre les actes de vandalisme. Mais la journée d'hier a été très tendue. Les militaires tiraient en l'air, les casernes ont été attaquées et dévalisées de leurs armes. Des hôtels, des magasins, des résidences privées ont été pillés par ces mêmes hommes armés mais aussi par des civils qui passaient après eux. Comme beaucoup d'autres habitants, je me suis fait braquer dans ma voiture par des hommes armés, j'ai été obligé de la leur laisser. Il n'y a plus de carburant, les administrations et les banques sont à l'arrêt, l'ORTM [la télévision et la radio nationales, ndlr] a été en partie pillée, les hôpitaux ne fonctionnent presque plus alors que des gens ont besoin d'être dialysés ou transfusés... La capitale est totalement paralysée. On a rarement vu ça ici. Nous ne sommes plus dans un Etat de droit, c'est le chaos.
Craignez-vous que les choses tournent mal pour la population ? Au moins trois personnes ont été tuées par des balles perdues...
Tous les ingrédients sont là. Si la situation dure trop, les nerfs vont lâcher. Il y a aussi la question de l'approvisionnement : les magasins sont fermés, or les gens ne s'étaient par préparés à ce coup d'Etat qui leur tombe dessus.
Que sait-on de ces putchistes ?
Ce sont des officiers et des sous-officiers qui depuis un certain temps dénonçaient le président Touré. Il lui reprochent surtout de n'avoir pas été assez réactif contre la rébellion touareg dans le nord du pays. Ce sont surtout des gens très frustrés, qui ont opéré un coup d'Etat contre un président démocratiquement élu. Ce n'est bon ni pour nous ni pour l'image du Mali, et plus généralement pour celle de l'Afrique. Cela montre que malgré les progrès accomplis, notre système démocratique reste fragile. C'est un recul. Dans des périodes comme celle-ci, on se dit «ça y est, on est retombés en arrière, l'Afrique est foutue». Mais il ne faut pas baisser les bras.
Amadou Toumani Touré aurait-il pu anticiper cette issue ?
Il aurait pu éviter cette situation s'il avait tenu compte du mécontentement qui montait. Il aurait pu organiser un remaniement ministériel. Tout le monde a vu venir le putsch, sauf lui. Il est trop resté sur ses acquis.
On est toujours sans nouvelles de lui ?
Une rumeur le dit à l'ambassade américaine, une autre dans un camp militaire.
Pensez-vous que les élections, prévues pour le 29 avril, aient encore la moindre chance d'être tenues ?
Il sera impossible d'organiser des élections dans ces conditions. Le putsch est consommé, une page s'est tournée. L'urgence, maintenant, c'est que la classe politique parvienne à créer un cadre de dialogue avec les mutins. Et il faut que les mutins, eux, acceptent le fonctionnement de l'Etat. Il y aura une pression de la communauté internationale. C'est aux partis de mener le jeu, pas à l'armée.
(1) Birama Konaré est aussi le fondateur de la branche malienne de Global Shapers, réseau créé en marge du Forum de Davos pour favoriser l'entrée des jeunes dans les grands forums internationaux.
Par CORDÉLIA BON - liberation.fr - 23 mars 2012