Pendant qu'on la croyait réceptive aux appels à la raison, la junte militaire putschiste étonne plutôt par des accès de folie autoritariste, en s'illustrant notamment par des comportements abusifs d'une rare témérité dans le Mali démocratique. Quoiqu'elle s'échine à trouver des excuses dans les pressentiments et la peur bleue d'un contrecoup, ses ardeurs liberticides révèlent quelque part les tares d'une entité militaire qui brille par sa puérilité, son anarchie organisationnelle, et dont l'abus d'autorité pourrait s'expliquer par une absence criarde d'autorité en son sein.
- Des arrestations aux allures d'enlèvement
Les observateurs avertis s'attendaient certes à des répercussions de la cacophonie ambiante - lors de la rencontre des forces vives maliennes à Ouagadougou -, mais sans doute pas dans les proportions et la résonnance vécues pendant les dernières quarante-huit heures. Il s'agit, en effet, d'une escalade d'arrestations beaucoup plus conséquente que la première vague et qui donne l'impression d'un retour virevoltant à la case départ, comme pour ramer à contre-courant des efforts de normalisation de la communauté internationale et des institutions sous-régionales (Cédéao) et de ses acquis dans le règlement de la crise institutionnelle au Mali.
Outre les premiers responsables d'institutions bancaires maliennes parmi les plus importantes, cet autre feuilleton s'est étendu aux hauts gradés de l'armée ainsi qu'à d'importantes personnalités politiques, dont certains avaient connu des sévices similaires. Les Généraux Sadio Gassama, Hamidou Sissoko, Mamadou Diagouraga, entre autres ; les PDG Babali Ba de la BMS et Amadou Diallo de la BNDA ; l'ancien Premier Ministre Modibo Sidibé qui détenu pour la troisième fois actuellement ; Soumaïla Cissé, le candidat de l'Urd, qui n'a finalement pu échapper à l'acharnement de la junte.
La liste n'est pas exhaustive. Le hic, c'est que ces privations de liberté interviennent au moment où tous les regards étaient tournés vers une autre étape déterminante dans la mise en œuvre de l'accord-cadre après l'investiture du président de la République par intérim, à savoir : la désignation puis la nomination d'un nouveau Premier Ministre.
La démarche participe au processus de réhabilitation des institutions de la République ainsi qu'au retour à une vie constitutionnelle normale, dans le cadre de laquelle les libertés individuelles et collectives sont garanties, sauf cas de nécessité impérieuse prévues par loi.
C'est donc en violation totale des garanties constitutionnelles que la junte militaire de Kati, par ailleurs partie-prenante de l'accord-cadre passé avec la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, a procédé aux arrestations arbitraires qui continuent de défrayer la chronique. Ce faisant, le CNRDRE verse manifestement dans un autre déboire passible d'amnistie, parce que ses arrestations arbitraires s'assimilent ni plus ni moins à des enlèvements, pour vrai que les privations de liberté au nom de la puissance publique sont ordonnées par la justice dans un régime constitutionnel normal.
-La chienlit régalienne : entre junte et AEEM uniforme
Ce n'est pas la première fois que le CNRDRE patauge dans les incohérences, alors que son chef de file, le Capitaine Amadou A. Sanogo, avait lui-même mis en garde contre les violations de l'accord-cadre passé avec la Cédéao. Au lendemain de la signature du document et sa publication, la junte s'illustrait déjà par certaines attitudes ayant intrigué nombre d'observateurs de la succession d'événements en cours au Mali depuis les événements du 22 Mars 2011.
En effet, le degré d'attachement de la junte aux concessions faites dans le cadre du processus de normalisation pouvait déjà se juger à sa persistance dans la prise de mesures vicieuses, en parfaite dissonance avec ses engagements : nominations abondantes aux postes de la hiérarchie militaire, interférences excessives et inappropriées dans les missions régulières traditionnelles de l'administration, d'Etat, etc.
Mais la trivialité vient d'atteindre son paroxysme avec les arrestations massives aveugles qui finissent d'inscrire le nom du Mali au registre des démocraties bananières du continent.
Pourquoi la junte putschiste s'illustre-t-elle avec une posture aussi banalisante et si peu respectueuse de ses engagements ? L'explication la plus superficielle réside dans la crainte d'un éventuel coup de force restaurateur de l'ancien régime renversé. Cette justification, qui peut valoir pour l'arrestation des généraux de l'armée malienne et de certains proches du président déchu, ne saurait tenir la route pour ce qui est de l'intimidation des hautes personnalités politiques.
Une raison pour les observateurs de pousser davantage la réflexion sur l'organisation et le mode de fonctionnement du CNRDRE, une structure à l'évidence impersonnelle dont la composition réelle est ignorée de tous , sauf pour son président, son chef de cabinet et son porte-parole.
En clair, avec cette tendance à mettre en cause les engagements solennellement pris par son premier responsable, Amadou Haya Sanogo, on est en droit d'en déduire que le Comité National de Redressement de la Démocratie et de Restauration de l'Etat présente plutôt les traits d'un bateau sans gouvernail où la caution collégiale est le passage obligé, tant pour les décisions à prendre que pour celles déjà prises.
C'est le propre de l'AEEM dont les pratiques anarchiques déteignent probablement sur la junte, à travers l'influence de toute une armada d'anciens dirigeants locataires de Kati à la suite du coup de force du 22 Mars dernier. Et si c'est la loi de la masse qui règne au CNRDRE, comme au bon vieux temps d'Oumar Mariko, Issa Mariko, Mahamane Mariko et Bakary Mariko, il va sans dire que le Capitaine Amadou Haya Sanogo n'exerce aucun contrôle sur les auteurs du coup d'État improvisé.
-Le coup d'État continue : un défi à la Cédéao
Les dernières évolutions et rebondissements de la situation interviennent paradoxalement au lendemain immédiat de la retrouvaille des forces vives de la Nation malienne autour du président du Faso, Médiateur désigné de la Cédéao, pour le règlement d'une crise d'État, qui risque fort malheureusement de prolonger davantage la partition du pays et de compromettre ses chances de réunification.
Au lieu de contribuer à faire avancer le processus du dénouement, la rencontre de Ouagadougou aura consacré un enlisement beaucoup plus conséquent pour avoir servi, ni plus ni moins de tribune de repérage et de distinction des participants, en bons cerbères de la junte et sentinelles démocratiques qui refusent de lui faire allégeance.
En témoigne, selon toute vraisemblance, cette vague d'arrestations très orientées qui épargnent ou ciblent les personnalités selon leurs apparentements politiques.
Les adeptes du Front anti-putsch sont ainsi persécutés pour leur position, ceux qui ont assimilé le coup d'Etat à une eau bénie sont à l'abri de toute forme de harcèlement de la part d'une junte qui semble sélectivement régler leur compte aux personnalités, pour avoir partagé avec la communauté internationale et la Cédéao la position selon laquelle la gestion de la transition doit revenir à une personnalité qui jouisse d'une certaine légitimité élective.
La junte, qui ne l'entend point de cette oreille, continue d'afficher ouvertement son intention de retourner aux commandes une fois les quarante jours constitutionnels épuisés et procèdent, comme on le voit, par des comportements abusifs qui annoncent les couleurs d'un autre coup de force imminent.
Ce faisant, la junte malienne lance pour le moins un clin d'œil défiant à l'adresse de la Cédéao, garant d'un accord-cadre qui est d'ailleurs l'objet d'une violation constante par ses interlocuteurs du CNRDRE. Ce n'est pas exclu que la junte malienne prenne ainsi du poil de la bête en regardant triompher son homologue de la Guinée-Bissau.
N’Tji Diarra