Mali : un coup d'état en forme de coup de poker

Mar 24, 2012 - 12:01
Mar 24, 2012 - 12:01
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Un putsch éclair a renversé au Mali le président Amadou Toumani Touré, à un mois de nouvelles élections présidentielles. Mais les motivations et les ambitions des putschistes, le « Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat », ne semblent pas très claires. [caption id="attachment_56506" align="aligncenter" width="610" caption="(Coup détat au Mali - Aliou Sissoko/AP/SIPA)"][/caption]
Une trentaine de morts lors d’un coup d’Etat en Afrique, ce n’est rien, disent les cyniques. Mais les vingt-huit militaires de la garde présidentielle et les trois civils maliens tués par des balles perdues pendant le putsch éclair  qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, alias ATT, constituent en réalité une catastrophe pour la région. Classé parmi les pays les moins avancés de la planète, le Mali s’enorgueillissait en revanche d’une expérience démocratique, très imparfaite mais réelle, inaugurée en mars 1991 avec le renversement du régime répressif du général Moussa Traoré. Amadou Toumani Touré, à l’époque colonel dans l’armée, fût l’instrument décisif  de ce premier printemps africain en prenant la tête d’un Conseil de transition pour le salut du peuple qui se retira sagement au bout d’un an, au profit des civils et d’élections pluralistes. Est-ce le chemin que suivra la drôle de junte, intitulée « Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat » (CNRDRE), qui s’est emparée du pouvoir à Bamako ? Pour l’heure son coup d’Etat se traduit surtout par des pillages dans les ministères et les commerces privés sans que l’on sache exactement si les chefs putschistes sont capables de maîtriser quoi que ce soit. On sait peu de choses sur eux, sinon qu’ils viennent du camp militaire de Kati, à une quinzaine de kilomètres de la capitale malienne, et recrutent essentiellement parmi les soldats de rang et des sous-officiers.
Depuis des mois l’armée malienne bruissait d’innombrables signes de mécontentements dont une raison majeure au moins est connue : l’absence de moyens suffisants, mais aussi de volonté politique, face au double défi représentés par le réveil de la révolte touareg, encadrée notamment par le  Mouvement national de libération de l’ Azawad (MNLA), et l’activisme des katibas d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dans le nord du pays. Dans ce domaine, ATT avait non seulement déçu ceux de ses militaires décidés à lutter réellement contre la filiale régionale de la nébuleuse terroriste mais aussi les capitales occidentales. Ces dernières redoutent la sanctuarisation d’AQMI dans une région saharo sahélienne que la chute de Kadhafi et la mise en circulation d’un arsenal terrifiant  rendent plus instable que jamais. Si la motivation de ce très étrange « Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat » portait sur un renforcement de la  double lutte contre le MNLA et AQMI, le moyen utilisé semble très paradoxal car il risque d’affaiblir encore plus les capacités de l’armée malienne dans le Nord.

ATT apparaît largement responsable de cette situation faute d’avoir porté la lutte contre AQMI au rang d’une priorité nationale. Pire : il y a incontestablement des complicités dans une armée par ailleurs ravagée par une corruption endémique, comme toutes les institutions maliennes. Au crédit du destitué : son respect de la Constitution puisqu’il n’avait pas l’intention de se représenter une troisième fois aux élections qui devaient avoir lieu le 29 avril. Mais le reste du bilan n’est pas fameux et l’illusion  d’un Etat solide, impartial et pérenne s’est effondrée en quelques heures devant l’irruption de quelques centaines de pieds nickelés sans stratégie réelle. La France a annoncé la suspension de sa coopération militaire et de concert avec Washington exige le retour au plus vite d’un gouvernement civil. Lequel, s’il devait jamais voir le jour rapidement, sera de toute manière confronté à la progression quasi quotidienne de l’offensive touareg dans le Nord.  Le Mali risque fort d’en sortir très affaibli. Après les évènements de Côte d’Ivoire et les tensions liées à la présidentielle sénégalaise dont on connaîtra le dénouement dimanche 25 mars, ce n’était pas ce dont l’ Afrique de l’Ouest avait besoin.
Samedi 24 Mars 2012 à 12:00 / marianne2.fr
 

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