Béchir Sinoun, auteur de l’attentat contre l’Ambassade de France :«Je regrette de l’avoir fait au Mali mais pas contre l’Ambassade de France»
C’est ce qu’affirmé, devant les juges, le jeune tunisien, auteur de l’attentat contre l’Ambassade de France en janvier 2010. C’était lundi dernier, devant la cour d’assises. Cette affaire, qui était très attendue par les populations, a, finalement, été jugée par la Cour d’assises de Bamako à son audience du 28 novembre dernier. La salle d’audience, ce jour-là, a refusé du monde. Un impressionnant dispositif sécuritaire était en place. Afin de canaliser les populations, venues nombreuses suivre cette audience particulière. Parce que c’est la première fois qu’un terroriste est jugé en terre malienne.
Les faits
5 Décembre 2010, il est 17 heures. C’est l’heure de la descente. Armé d’un pistolet mitrailleur, de grenades et d’une bonbonne de gaz butane, Béchir Sinoun, un jeune tunisien de 26 ans, se rend à l’Ambassade de France. L’Ambassade est fermée. Béchir Sinoun tente d’accéder à l’intérieur. En vain. Il fait exploser devant le portail une grenade et se met à tirer avec son pistolet dans tous les sens. Ensuite, il tente de faire exploser sa bonbonne de gaz. En vain. C’est le sauve qui peut! Les policiers qui étaient là pour la sécurité des lieux avaient déjà pris leurs jambes à leur cou. Quatre individus sont blessés, dont un grave. Il s’agit d’Amadou Maiga, employé de commerce, Bouréima Traoré chauffeur, Boubacar Dramé, agent de sécurité et Badra Alou Kanté, courtier. Ce dernier est décédé suite à ses blessures.
Béchir Sinoun a été, finalement, maîtrisé par les populations et remis à la Sécurité d’Etat pour les besoins de l’enquête. Il est accusé de terrorisme.
A l’enquête préliminaire, l’accusé reconnait l’ensemble des faits qui lui sont reprochés. Mais affirme qu’il n’avait pas l’intention d’ôter la vie à quelqu’un. Placé sous mandat de dépôt, il s’évade de la cellule de la sécurité d’Etat où il était détenu. C’était dans la nuit du 27 au 28 février 2011. Il sera repéré et repris à Gao à bord d’un car de la compagnie SONEF.
Lors de sa comparution devant les juges, Béchir Sinoum donne une version différente de celle de l’enquête préliminaire, en niant les faits qui lui sont reprochés. En répondant aux questions des juges, il reconnaît avoir tenté de faire exploser la bonbonne de gaz, mais nie avoir tiré sur les populations. Avant d’ajouter qu’il n’avait pas l’intention de tuer. Il indique que si c’était le cas, il aurait pu choisir le matin ou les moments de grande affluence pour perpétrer l’attentat contre l’Ambassade.
A la question de savoir s’il regrette son acte, Béchir répond : «je regrette d’avoir fait l’acte en terre malienne et blessé des Maliens. Mais je ne regrette pas l’attentat contre l’Ambassade de France». Béchir avez-vous prémédité l’acte? Il répond qu’au moment de son arrivée au Mali, qu’il n’avait pas l’intention d’attaquer l’Ambassade de France. Le choix, ajoute-t-il, a été fait par hasard. Selon lui, il fallait faire quelque chose pour attirer l’intention d’AQMI, qui l’avait chassé de ses rangs, en le qualifiant de mauvais élève. Mais aussi, c’était une façon de dire à la France de revoir sa politique africaine. A la question de savoir s’il est terroriste, Béchir rétorque : «je ne suis pas terroriste. je suis un étudiant de passage à Bamako». Pour le Procureur général près la Cour d’appel, représentant le ministère public, Béchir n’est pas un néophyte, encore moins un amateur. Puisque avant l’attaque, il a, plusieurs fois, visité l’Ambassade pour étudier les lieux, afin de faire des repérages. C’est ainsi qu’il est parvenu à semer la terreur en faisant exploser des grenades et en tirant sur la foule. Pour le Ministère public, Béchir était toujours en contact avec AQMI au moment des faits. La preuve, selon le représentant du Ministère public, Béchir Sinoun était recherché dans d’autres pays, comme la Mauritanie et le Sénégal. Il conclut que Béchir est un terroriste pur et dur qui doit être maintenu dans les liens de l’ accusation, conformément aux articles 3, 6 et 13 du 23 juillet 2008, portant répression du terrorisme au Mali. Même son de cloche pour la partie civile qui qualifie l’acte de gravité extrême. Avant de réclamer que l’accusé soit condamné à la peine maximale.
La défense, constituée par Me Kalifa Yaro et par Me Wali Diawara, fait savoir que leur client (Béchir Sinoun) a été victime de l’acharnement de l’opinion publique et de la presse nationale et internationale. Aussi, la défense regrette que le principe de la présomption d’innocence n’ait pas été respecté. Les avocats de la défense ont ensuite estimé que l’accusé a été détenu dans des conditions inhumaines. Avant d’ajouter que leur client n’est pas un terroriste, car il n’avait aucun contact, selon eux, avec un quelconque groupe terroriste au moment des faits. Elle qualifie l’attentat contre l’Ambassade de France d’acte isolé. La preuve est que l’acte de Béchir n’a pas été revendiqué, comme en pareille circonstance, par un groupe terroriste. Me wali Diawara va plus loin en affirmant que l’accusé est un déséquilibre mental et qu’il a inconsciemment commis l’attentat. Avant d’ajouter que l’Etat malien est coupable dans cette affaire. «Comment comprendre qu’un tel individu traverse tout le pays, avec des armes, sans qu’aucun policier, gendarme ne s’en rend compte ?» s’interroge- t-il. Ces avocats vont jusqu’à dire que la loi réprimant le terrorisme au Mali est «insensée». Dans ces conditions, estiment-ils, cette loi ne doit pas servir d’instrument de répression. C’est pour ces raisons et d’autres encore que la défense a demandé l’acquittement, pur et simple, de leur client.
Malgré cette brillante plaidoirie, Béchir Sinoun a été retenu dans les liens de l’accusation. Il est condamné à la peine capitale et à 10 millions CFA d’amende.
Par ailleurs, il est condamné au paiement de dommages et intérêts. Car les héritiers du défunt (Badra Alou Kanté) réclament 100 millions CFA de dommages et intérêts. Deux autres victimes réclament, respectivement, 5 millions et 750 000 CFA. Ces réclamations ont été retenues par les juges contre Béchir Sinoun.
Abou Berthé
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