La haute trahison contre Amadou Toumani Touré et la levée de boucliers occasionnée : Qu’en est-il en vérité ?

9 Févruary 2014 - 23:12
10 Févruary 2014 - 01:41
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[caption id="attachment_187393" align="alignleft" width="344"]Amadou Toumani Touré Amadou Toumani Touré, l'ancien président malien.
Getty Images[/caption]

Il nous plait, à l’entame de l’étude de cette notion juridique polysémique et de ses contours, de convier les uns et les autres, admirateurs et détracteurs du Régime et de la personne d’Amadou Toumani TOURE à plus de modération, à plus de sagesse, à plus de tolérance mutuelle, à plus d’objectivité dans l’analyse, à l’effet, de privilégier, en tant que maliens, les intérêts supérieurs de notre pays, le Mali éternel, au-delà et par-dessus les hommes et les Régimes, nécessairement éphémères et conjoncturels.

    En effet, depuis l’annonce télévisée de l’inculpation prochaine de ATT pour haute trahison , plusieurs «spécialistes» sont sortis du bois, soit pour saluer la mesure annoncée, soit le plus souvent pour la condamner , avec des arguments pour la plupart spécieux, dictés par la nostalgie d’un Régime auquel, ils ont certainement appartenu (le jugement d’ATT étant le jugement du Régime, pensent-ils) ; d’autres arguments (les moins nombreux), même teintés de passion parfaitement perceptible, ne manquent pas de pertinence, même si les conclusions tirées des dites analyses trahissent en maints endroits,  tant les vues doctrinales les plus récentes sur la question, tant les applications pratiques et jurisprudentielles à travers l’histoire, notions que personne à ce jour, n’a eu le courage d’aborder pour éclairer la religion des juristes, des moins juristes, des profanes, en somme de l’opinion Nationale sur une question d’importance capitale, car, relevant de la loi fondamentale, la constitution révolutionnaire de 1992,  fille des journées de braise, ayant accouché  la «démocratie» au Mali, constitution dont Amadou Toumani TOURE, s’enorgueillissait, en son temps, d’en être le père, du moins l’inspirateur, le «distingué» Inspirateur.       Avant d’envisager la controverse doctrinale,  les applications pratiques et les questions qu’elles posent (II) et (elles sont incontournables), je voudrais  m’essayer sur un terrain que je sais parfaitement glissant (mais n’a-t-on pas dit que qui ose essayer, osera vaincre?). Ce terrain glissant, c’est celui des définitions (I), avant d’en tirer les conclusions qui s’imposent (III).     Il est aisé de convenir que tous ceux qui se sont essayé sur la question, en tout cas dans la presse malienne récente (Bihebdomadaire  d’informations générales, «L’AUBE» n°583 du lundi 13 janvier 2014, le Quotidien «l’Indépendant» n°3422 du mercredi 22 janvier 2014, «la Nouvelle Patrie» n°0285 du mercredi 15 janvier 2014,   l’Indépendant n° 3418 du mercredi 15 janvier 2014, «l’Indépendant» n°3413 du mardi 07 janvier 2014, «le Sphinx» n°48 du 17 au 23 janvier 2014, «l’Indépendant» n° 3412 du 06 janvier 2014 etc.) sont unanimes à reconnaître que la haute trahison n’a pas été définie, ni par la constitution, ni par une quelconque loi organique ou ordinaire.       Il est donc parfaitement malaisé de s’aventurer sur ce terrain, sans laisser quelques plumes. L’entreprise est périlleuse, mais avons-nous le droit, juristes de ce beau et grand pays, de laisser sombrer notre pays dans l’incompréhension, les explications équivoques, les contrevérités, savamment «distillées» pour des desseins inavoués et personnels, les démonstrations oiseuses, tout ceci, faisant le lit à l’intolérance politique, aux vils dénigrements, aux injures de bas étage, aux dénonciations et accusations gratuites, aux menaces à peine voilées. Je pense que non !     I. Essai de définitions Pour rendre intelligible cette analyse, je voudrais annoncer qu’autant que faire se peut, j’utiliserais le français facile au détriment des concepts juridiques ésotériques. C’est pourquoi, contrairement aux excellents hommes de droit que j’ai eu le privilège de lire dans les publications ci-dessus annoncées, il me plairait avant d’entamer la polémique sur la haute trahison, d’interroger tout d’abord le code pénal malien sur la notion toute simple de TRAHISON, qui est une infraction criminelle prévue aux articles 33 et suivants du CP et punie de mort.       A. Le code pénal malien et le crime de TRAHISON En droit pénal, la trahison est une qualification générique donnée, lorsqu’elles sont commises par un malien ou un militaire au service du Mali, à diverses atteintes criminelles à la sureté extérieure de l’Etat, incriminées sous des noms spécifiques (sabotage, intelligence avec une puissance étrangère, livraison d’informations à une puissance étrangère, fourniture de fausses informations etc. etc.), lorsqu’elles portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou en tant qu’elles impliquent nécessairement une telle atteinte( ex : livraison à une puissance étrangère de tout ou partie du territoire national, de forces armées ou de matériels).     Plus spécifiquement, les articles 33 et 34 du CPM combinés sont ainsi libellés : sera coupable de trahison et puni de mort :     1. Tout  malien qui portera les armes contre le Mali ; 2. Tout malien qui entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère en vue de l’engager à entreprendre des hostilités contre le Mali ou lui en fournira les moyens, soit en facilitant la pénétration des forces étrangères sur le territoire malien, soit en portant atteinte au moral, ou en ébranlant la fidélité des Armées de terre ou de l’air, soit de toute autre manière ;     3. Tout Malien qui livrera à une puissance étrangère ou à ses agents des troupes maliennes, portion du territoire national, villes , forteresses, ouvrages, postes , magasins, arsenaux, matériels, munitions, bâtiments, ou appareils de navigation aérienne appartenant au Mali ou placés sous sa garde ;     4. tout malien qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour but de nuire à la défense nationale ; 5. de détérioration ou destruction volontaire, de matériels ou fourniture destinés  à la défense nationale ou utilisés pour elle ;     6. d’entrave à la circulation de ce matériel ;     7. de participer en connaissance de cause à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale.     Plus loin l’article 36 du code pénal précise : Seront réputés secrets de la défense nationale pour l’appréciation du présent code.     1. les renseignements d’ordre militaire, diplomatique, économique ou industriel qui par  leur nature ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les détenir et doivent dans l’intérêt de la défense nationale être tenus secrets à  l’égard de toute autre personne ; 2. les objets, matériels, écrits, dossiers, plans, cartes, photographies ou autres  reproductions et tous autres documents quelconques, qui par leur nature ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les manier ou les   détenir et doivent être tenus secrets à l’égard de toute autre personne pouvant conduire à la découverte de renseignement appartenant à l’une des catégories visées à l’article précédent ;     3. les informations militaires de toute nature non rendues publiques par le gouvernement et non comprises dans les énumérations ci dessus dont la publication la diffusion, la divulgation ou la reproduction aura été interdite par une loi ou par un décret pris en conseil des Ministre etc.…   Le code pénal malien a donc éloquemment caractérisé la notion juridique de trahison  par l’évocation des articles ci-dessus cités.     Le principe de la légalité des délits et des peines, qui est la clef de voute du système répressif au Mali et dans tous les pays à inspiration juridique française et qui est rappelé dans la célèbre formule passée à la postérité : Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege (pas d’infraction sans texte, pas de peine sans texte), est donc ici absolument consacré ; aucune critique ou acrimonie de quelque nature que ce soit si son auteur voudrait ne serait ce que conserver par  devers, lui, la moindre crédibilité ne saurait atteindre une telle vérité. De surcroit, toutes les contributions enregistrées jusques là, n’ayant fait aucun cas de l’infraction de trahison elle-même (à dessein ou par oubli), toutes ne se sont focalisées que sur l’infraction de haute trahison, visée par le communiqué gouvernemental du 27 décembre 2013.     Alors, soyons d’avis qu’au moins la trahison en tant que infraction criminelle a été soigneusement décryptée par le législateur malien en tous ses éléments constitutifs et constitue par conséquent déjà un éclairage suffisant pour les doctrinaires et les juges sur cette question précise de haute trahison Qu’en est-il alors de la haute trahison elle-même ?   B. La constitution malienne de 1992 et la haute trahison Infraction politique à contenu variable, en fonction des régimes politiques et souvent du contexte international du moment, elle n’a été définie ni par le code pénal ni par les lois pénales annexes. C’est l’art 95 de la constitution révolutionnaire de 1992 qui a, dans le processus de détermination de la compétence d’attribution de la haute cour de justice annoncé  l’infraction de haute trahison en ces termes : «La haute cour de justice est compétente pour juger le Président de la République et les Ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée Nationale pour haute trahison ou à raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sureté de l’Etat».     L’alinéa 3 de l’art 95 apporte cependant une précision de taille consistant à dire que la haute cour de justice est liée par la définition des crimes et délits et par la détermination des peines résultant des lois pénales en vigueur à l’époque des faits compris dans la poursuite.     Cette disposition, qui, certes, n’est pas tout à fait explicite n’a de sens que si elle voudra signifier que les infractions justiciables de la haute cour de justice et cela y compris la haute trahison, ne sont autres que celles résultant du code pénal et des autres lois pénales en vigueur dans le pays à l’époque des faits répréhensible  et de la poursuite conséquente. Cela dit, le crime de trahison, ayant été particulièrement dépouillé par le législateur jusque dans ses derniers retranchements pour tenir compte de tous les contours possibles, pour qu’il   n’y ait aucune trace d’impunité par rapport aux actes si bénins, soient- ils, posés par les  uns et les autres, le chemin de la haute trahison se trouve dès lors particulièrement défriché.     Si le crime de trahison peut concerner le citoyen  lambda(le malien tout court), il est certainement juste de dire, que s’agissant du Président de la République auquel des faits semblables sont reprochés, on peut parler de haute trahison parce que premier des maliens, détenteur de tout les pouvoirs constitutionnels.     Divers constitutions et régimes politiques, ont, à travers le temps, consacré la haute cour de justice comme juridiction  à caractère politique, chargée spécifiquement de juger les dirigeants. Les juridictions politiques ne datent pas d’aujourd’hui et les régimes politiques s’en sont toujours servis, à tort ou à raison.     Le principe de création des juridictions politiques a toujours engendré des polémiques au plan doctrinal, mais ces polémiques, pour ou contre n’ont jamais empêché, ni leur conceptions institutionnelle dans le corps des constitutions, ni leur fonctionnement et composition à travers des lois organiques, ni leur effectivité en tant que juridictions rendant des décisions. La haute cour de justice en France qui est l’ancêtre de notre haute cour de justice date de longtemps et a connu plusieurs mutations, métamorphoses ou modifications au travers des révisions constitutionnelles. La toute première est issue de la constitution française de 1875 pour juger les crimes de haute trahison.     En novembre 1944, une ordonnance créa une haute cour de justice, en précisant qu’elle n’appliquerait que les infractions contenues dans le code pénal d’alors. La IVè et la Vè République en France ont toutes institué leur haute cour de justice avec des spécifications, des distinctions, des orientations tenant compte des réalités du moment et surtout de la politique criminelle définie par les différents régimes.     C’est la constitution française de 1958 en son article 68 qui a opéré un véritable distinguo entre la responsabilité pénale des Ministres et celle du président de la République en précisant de façon formelle : «le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ; les Ministres, eux, sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été accomplis».     Là, la constitution précise que la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être mise en jeu, ne peut être recherchée que pour haute trahison. Ce n’est qu’en 1993, par une révision constitutionnelle que l’article 68 précité a été modifié s’agissant de la responsabilité pénale des Ministres ; ces derniers, au terme de cette révision constitutionnelle ne sont désormais justiciables que de la cour de justice de la République, une nouvelle juridiction créée ; la haute cour de justice ne s’occupera que du seul Président de la République mis en accusation devant elle par l’Assemblée Nationale et le Senat. Cette petite rétrospective historique était nécessaire pour que ceux qui défendent ATT comprennent qu’en France même, c’est un long processus historique qui a abouti à n’engager la responsabilité pénale du Président de la République que pour haute trahison seulement, étant entendu, qu’en France même  de 1875 à la dernière révision constitutionnelle, la haute trahison n’a jamais été formellement définie à ce jour.     Pourtant de procès retentissants pour haute trahison ont été tenus. Au Mali la haute trahison en tant qu’infraction, n’a rejoint notre arsenal répressif qu’en 1992 avec l’adoption de la nouvelle constitution portant la haute cour de justice comme institution de la République.     Contrairement au constituant français, la constitution Malienne en son article 95 n’a pas distingué entre le Président de la République et les Ministres s’agissant de leur responsabilité pénale. Des juristes à l’instar de Dr Fangatigui Diakite, homme en chair et en os, pseudonyme ou prête nom, qui s’évertuent, en volant au secours d’ATT, à argumenter autour de règles juridiques moyenâgeuses se plantent énormément.       Je voudrais rappeler à tous, que la constitution de 1992, qui, pour la première fois nous a ‘’tympanisé’’ des notions de haute trahison et de haute cour de justice est absolument l’œuvre d’Amadou Toumani Toure et qui l’a soumise au Peuple malien qui s’est exprimé par referendum. Il était lui-même particulièrement fier de cette « prouesse historique » qu’il ne laissait  passer aucune opportunité pour en réclamer la paternité et s’en féliciter. Cette œuvre là me diriez vous, il l’a certainement destinée aux autres, conçue pour les autres, mais lui-même, le concepteur ne mériterait pas que «la belle œuvre» s’appliquât à lui.     Oui, «duralex, sed lex» (la loi est dure, mais c’est la loi) ; elle n’a pas de visage ; elle est par principe impersonnelle et doit s’appliquer à tous, sans état d’âme. Du reste, comme l’a dit l’adage «nul ne peut invoquer sa propre turpitude».     C’est la cour d’Assises, juridiction de droit commun qui a jugé le Général Moussa Traoré et son régime dans deux procès retentissants : «crimes de sang et crimes économiques», procès suivis en direct à la télévision Nationale, par ce qu’a l’époque la haute cour de justice n’existait pas. C’est même un sacré privilège pour ATT de se faire juger par la haute cour, qui a la possibilité d’ordonner même un hui clos, ce que la cour d’assises, juridiction populaire ne pouvait se permettre dans ce cas d’espèce.     Sacré privilège, parce que les infractions reprochées à Moussa Traore n’ont aucune commune mesure avec la monstruosité, l’extrême gravité et le caractère inédit et innarable des faits reprochés à Amadou Toumani Toure ; des faits qui ont laissé le Mali sans territoire, sans souveraineté, sans drapeau, sans défense Nationale, sans Armée, sans aucune Institution digne de ce nom, sans identité, sans âme, sans dignité, entre les mains de ces pires ennemis, des rapaces venus le dépecer et le vendre à l’encan.     En tout état de cause, la formulation de l’article 95 de la Constitution de 1992 ne laisse transparaitre aucune confusion : le Président de la République et ses Ministres sont tous justiciables de la haute cour de justice pour haute trahison ou à raison des  faits qualités crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ; ce qui signifie clairement que sauf révision constitutionnelle (qu’à ATT avait tout loisir et opportunité d’initier après 20 années de pratique Constitutionnelle), la haute cour de justice et ses juges politiques, institués par ATT lui-même, jugeront ATT et les ministres mis en accusation devant elle alternativement pour haute trahison ou pour faits qualifiés crimes ou délits en fonction des distinctions opérées par le code pénal.     Dans plusieurs contributions, on a l’impression que le Président de la République, qui a géré l’Etat de 2002 à l’effondrement de l’Etat en 2012 devait être placé au dessus des lois et qu’en recherchant sa responsabilité pénale dans les faits ayant précipité notre pays dans l’abime, on chercherait à se venger de ‘’mère Vertu’’ dont les actions, au seul plan des infrastructures et des logements sociaux auraient déjà porté notre pays au pinacle Dites nous quelle institution n’a pas été instrumentalisée pendant le règne des 10 ans d’ATT au sommet de l’Etat ? L’auguste Assemblée Nationale s’était métamorphosée en cénacle d’applaudisseurs, en chambre d’enregistrement (la plupart des députés savent de quelle manière ils ont été élus et n’ignorent pas l’épée de Damoclès qu’est la dissolution qui leur est brandie au quotidien pour se tenir raide)     Dame justice elle-même n’existait que de nom et l’instrumentalisation ici a atteint des proportions ubuesques.     Exp1 : lorsque c’est un Arrêt de la haute juridiction du pays qui est foulé aux pieds, parce que le Président de République n’a pas été informé au préalable de la prise de la décision ; un honorable citoyen, Diawara Mamadou, en fait encore les frais.     Epx2 : lorsque c’est le Président de République lui-même qui déclare que c’est lui qui a empêché  l’exécution d’un mandat de justice en s’opposant au séjour à la Maison d’Arrêt d’un  citoyen (fut-il Vérificateur Général).     Je peux citer des milliers d’exemples de la même veine etc.……. Croyez-vous un instant qu’un tel homme doit être absous de tous les crimes qu’il a commis contre la nation, la paix, les équilibres institutionnels, le patrimoine de l’Etat, la sécurité publique, la morale, les valeurs sociétales ? Non, Messieurs, nul n’est au dessus de la loi et dans tout pays qui se respecte la loi est la même pour tous.     La Suite dans les prochaines parutions.     ZAROU Bocar Askia, Juriste  

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