Bouleversement historique : La revanche du général Moussa Traoré

23 Avril 2012 - 00:20
23 Avril 2012 - 00:20
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Dans une réflexion qu'il a fait parvenir à notre rédaction, Maître Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour et observateur politique connu, décrit les démentis et humiliations infligés par l'histoire à ceux qui ont fait chuter le régime du général Moussa Traoré.   [caption id="attachment_62075" align="alignleft" width="250" caption="Me-Cheick-Oumar-Konaré"][/caption] Au crépuscule de son régime, le général Moussa Traoré, que ses adversaires du Mouvement dit Démocratique accusaient d'avoir fait massacrer leurs militants, en appelait au Seigneur : "Dieu ne laisse jamais l'eau dans le lait!". Il voulait dire, par cet adage, que Dieu ferait un jour triompher la vérité  sur le mensonge. L'histoire semble lui donner raison et, en même temps, lui offrir une belle revanche. Dès l'abord, nous observons que Moussa Traoré a porté la poisse à son principal tombeur: ATT. En effet, après 23 ans de pouvoir, le fondateur du parti unique UDPM fut destitué par le chef de sa garde présidentielle, un certain lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, lequel, 21 ans plus tard, connut un sort similaire, obligé de faire ses adieux à Koulouba sous les feux nourris de la soldatesque surgie de Kati. Arrêté un 26 mars (1991), Moussa a vu son tombeur, ATT, perdre le pouvoir un 21 mars (2012), soit dans le même mois et à 5 petits jours de différence. Avant sa chute, Moussa, sûr de son bon droit et de sa force, avait menacé de ceindre d'une couronne de feu la tête de ses opposants qui troubleraient l'ordre public; ATT, son tombeur, a tenu des propos presqu'identiques quelques semaines avant de perdre le pouvoir: le 8 mars 2012, il défiait fièrement les soldats qui lui en voulaient de sortir de l'ombre, au lieu de pousser leurs épouses à manifester contre lui. Notons, en passant, que Moussa fut arrêté à 3 jours seulement du congrès de son parti où le multipartisme (réclamé par l'opposition) devait être décidé; ATT, lui, fut renversé à 3 petits mois de la fin de son second et dernier mandat de 5 ans. Comme celui qu'il a renversé, ATT a dû se mordre les doigts de n'avoir pas pris de meilleures résolutions un peu plus tôt... ATT ne fut pas le seul à subir les foudres de l'histoire: son acolyte Oumar Diallo alias Birus ne fut guère plus heureux. Birus, couvé par Moussa pendant une bonne décennie, aida ATT à le renverser. Contre toute attente, Birus ne tirera aucun avantage de son acte. Lui qui rêvait de prendre la tête de la junte du 26 mars 1991 fut écarté par ATT, qu'il dépassait pourtant en grade et en ancienneté. Comme si cela suffisait pas à son malheur, il se fera cueillir un beau matin de 1991, dans une mosquée de Bamako, et traîner au gnouf pour tentative de putsch contre son frère d'armes et de complot:  ATT.Si Birus a, après son élargissement, réussi sa reconversion dans le secteur...minier, il a dû, telle la pauvre Pierrette sur le pot-au-lait, tracer une croix sur ses ambitions politiques. Le sort de Birus s'avère, au reste, plus enviable que celui du colonel Siaka Koné, celui-là même qui, dans la nuit du 26 mars 1991, bardé d'armes et d'amulettes, mit courageausement la main sur Moussa Traoré. Cet éminent parachutiste, qui apprenait aux commandos de Djikoroni à se faire larguer dans les airs, se noya, lors d'un saut, dans des circonstances encore non élucidées. L'affaire nous paraît aussi mystérieuse et suspecte que la fameuse noyade de l'empereur du Mali, Soundjata Kéita, dans les eaux claires du Sankarani... Quant au général Kafougouna Koné, il était, en tant que chef d'Etat-major de l'armée de terre, l'officier le plus gradé parmi les putschistes de mars 1991.Il serait même devenu chef d'Etat s'il n'avait préféré s'effacer derrière son cadet ATT, principal auteur du coup d'Etat. 21 ans après avoir lâché Moussa, son bienfaiteur, Kafougouna a pris un véritable abonnement aux violons du CNRDRE sans que ses jeunes geôliers observent le moindre égard pour son âge assez avancé. Son cas vaut le détour car, selon les connaisseurs, il jouait, par son prestige militaire et son intégrité supposée, le rôle d'une sentinelle anti-coup d'Etat au profit d'ATT, lequel l'a maintenu, sans discontinuer, au gouvernement dix ans durant. Pour ce qui est des vainqueurs civils de ce qu'on a appelé "révolution du 26 mars 1991" et qui, en fait, tenait plus de l'insurrection que de la révolution, il serait utile d'en dire deux mots. Les partis Adema et CNID, principaux instigateurs des manifestations anti-Moussa, ne tardèrent pas, quelques mois plus tard, à s'étriper pour le pouvoir. Certes, Alpha Oumar Konaré, candidat de l'Adema à la présidentielle de 1992, parviendra clopint-clopant à se sortir d'affaire malgré le gros temps qui a toujours plané sur sa présidence; mais on ne peut en dire autant de ses camarades de lutte dont la liste donnerait le tournis: Mohamed Lamine Traoré (décédé au moment où il se remettait doucement des années de prison et de diète que son ancien parti, l'Adema, lui avait infligées); Maître Demba Diallo (humilié par le suffrage populaire en 1991 avant de finir dans la solitude et la maladie); Mohamedoun Dicko et Yoro Diakité (relégués aux oubliettes après avoir été chassés, le premier de l'Adema et le second du Parena); Me Mountaga Tall (martyrisé par l'Adema entre 1992 et 2002); Amidou Diabaté et Tièblé Dramé (leur parti a perdu son fief son fief de Nioro à cause d'un Chérif proche de...Moussa Traoré); Oumar Mariko (réduit au pain sec depuis 1992).Ne parlons pas de l'AJDP, de la JLD et d'autres groupes associatif morts et enterrés depuis des temps immémoriaux... On le voit, qu'ils soient civils ou militaires, les ennemis de Moussa Traoré ont sérieusement trinqué, les uns à la suite et bien souvent par les mains des autres.On aurait pu oublier ou, à tout le moins, comprendre ces échanges de jioyeux procédés entre militants démocratiques si, à la rigueur, ils avaient tenu les chaleureuses promesses faites aux martyrs du 26 mars 1991: contruire une authentique démocratie pluraliste. Or dès la fin du parti unique officiel de Moussa Traoré, les Maliens ont vu vite s'installer un parti unique de fait, l'Adema, qui, à la faveur d'élections contestables, se préparait à régner 50 ans sur le pays. Ce parti, qui aimait se comparer à l'ANC de Mandela, n'a été brisé dans ses élans monarchiques que par les plans volcaniques dont son chef, Alpha, détenait le secret.Si le but d'Alpha, en dépossédant l'Adema du pouvoir et en le remettant à ATT, était de préserver la démocratie pluraliste et d'éviter l'hégémonie d'un parti, son noble projet ne lui aura survécu que 10 ans puisque, en ces jours de 2012, nous voilà revenus sous la férule des militaires. Comme sous Moussa Traoré! Ironie de l'histoire, dès qu'ils ont pris le pouvoir, le capitaine Amadou Sanogo et ses compagnons ont, ce dit-on, réservé l'une de leurs premières visites à leur illustre prédécesseur: Moussa Traoré ! Venaient-ils, symboliquement, rendre hommage au grand chef militaire qui a terrassé, en 1984, le Burkina Faso du bouillant Thomas Sankara puis, en 1990, les rebelles touareg d'Iyad Ag Ghaly ? Il n'est pas interdit de le penser dans la mesure où les promoteurs du  CNRDRE reprochent surtout à ATT son "incompétence" à faire face aux nouveaux rebelles touareg venus de Libye et dont un des leaders s'appelle...Iyad Ag Ghaly!  Au démeurant, bien avant la visite du capitaine Sanogo, la vaste cour boisée du général Moussa Traoré ne désemplissait plus depuis qu'il fut grâcié et installé dans une résidence d'Etat au bord du fleuve Niger, à Djikoroni. Politiciens, militaires, diplomates, imams, journalistes, chacun et tous viennent comme en pèlerinage en cette résidence pour profiter de la science, de l'expérience et des gros éclats de rire du général Moussa. Et quand l'homme se rend dans une cérémonie sociale, il reçoit des applaudissements populaires et éclipse tous les démocrates convaincus et les patriotes sincères qui l'ont renversé en 1991. Ainsi, aux funérailles de son frère d'armes Amadou Baba Diarra, on n'avait d'yeux que pour Moussa Traoré alors qu'ATT et compagnie passaient inaperçus... Notre propos ne tend nullement à tresser des lauriers à Moussa Traoré dont le régime accusait des limites évidentes; nous soulignons seulement des faits qui, difficilement, pourraient s'expliquer par le seul hasard. En vérité, la revanche de Moussa Traoré est d'autant plus éclatante que même les crimes atroces que ses adversaires lui avaient collés sur le dos n'ont pas longtemps résisté à l'analyse de l'opinion publique. Bien sûr, les juges d'assises ont condamné Moussa à la peine capitale pour assissinats; mais le peuple malien n'a toujours pas la réponse aux deux célèbres questions posées lors du procès: "Qui a tiré sur les manifestants ? Qui a donné l'ordre de tirer?". Bien sûr, les mêmes juges d'assises ont, pour réprimer des crimes dits  économiques, prononcé une nouvelle peine capitale contre Moussa (comme s'il pouvait mourir deux fois!); mais à ce jour, les Maliens n'ont pas vu l'ombre d'un rotin détourné par celui qu'on a affublé du charitable qualificatif de "dictateur sanguinaire et corrompu". Le rugueux fouet de l'histoire n'a d'ailleurs pas fini de frapper. 21 ans après le putsch qui a renversé Moussa Traoré, un autre putsch remet le pouvoir d'Etat à son gendre: Cheick Modibo Diarra. Diarra a épousé la première fille de Moussa Traoré alors que le général n'était plus au pouvoir; il possède, au-delà de ses liens sociaux, les qualités d'un haut cadre; mais il n'en reste pas moins proche de son beau-père et lorsqu'il se présenta devant les Maliens juste après sa nomination à la primature, il n'a pas hésité à se faire filmer par la télévision nationale en compagnie d'Idrissa, le deuxième fils de Moussa Traoré. C'est donc derrière le gendre du "tyran" qu'ils pensaient avoir abattu en 1991 que courent, aujourd'hui, la plupart des rescapés de la précieuse race des "démocrates sincères", qui pour  avoir un strapontin ministériel, qui pour protéger une carrière, et presque tous pour se tailler un gigot dans le corps très malade de notre cher Mali. Les techniques utilisées par la meute de nos mendiants de postes sont fort variées: elles vont des communiqués de soutien bien sentis aux visites de courtoisie en passant, pour les plus pressés, par une danse endiablée du ventre. Tous caressent l'espoir, non d'aller combattre les rebelles au nord, mais de se voir déléguer une parcelle, même infime, des "pleins pouvoirs" dévolus au Premier ministre de la transition.Et comme s'il savait déjà à quoi s'en tenir avec nos mendiants de postes, Cheick Modibo Diarra a eu ces mots cruels: "Dans l'équation que j'ai mission de résoudre, les considérations politiques ne constituent pas un paramètre  du tout!". Allons, allons, allons donc! Nos bons vieux démocrates courant à grandes enjambées derrière le Premier ministre des militaires putschistes et traités de haut par le propre gendre du "despote" qu'ils ont combattu: qui l'eût cru ? Me Cheick Oumar Konaré

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